un article de Philippe Juza
En Bretagne comme ailleurs, c’est au lendemain de la Grande Guerre, entre 1919 et 1924, que la plupart des communes décident d’ériger un monument en souvenir de ceux qui, nés ou vivant là en 1914, sont morts durant le conflit. Les proportions inédites que prend ce mouvement de construction dit bien l’ampleur du traumatisme qu’a été le Premier Conflit mondial, en Bretagne comme ailleurs en France.
L’on attend donc la fin des hostilités pour faire édifier ces monuments, le temps d’établir la liste « complète » de ceux dont les noms devront y figurer, le temps de réunir les finances nécessaires – souvent plusieurs milliers de francs, parfois plusieurs dizaines de milliers –, le temps de décider de la forme du futur monument – acheté sur catalogue ou commandé à un statuaire de renom –, de se mettre d’accord aussi et surtout sur le lieu le plus adapté pour l’accueillir.

Les listes établies au lendemain de la guerre, entre l’Armistice et l’inauguration des monuments, étaient incomplètes, du fait parfois du manque de renseignements, de malheureux hasards parfois aussi. Ainsi, à Bannalec 124 poilus morts pour la France ne figurent pas sur le MAM. Les logiques suivant lesquelles ces listes ont été établies, qui nous échappent souvent aujourd’hui, étaient différentes. La liste des morts constituée dans chaque commune en 1919-1920, sans doute imparfaite, reposait cependant sur une logique – souvent propre à chacune de ces communes d’ailleurs. Ici, la priorité a été donnée à ceux qui y sont nés, là à ceux qui y résidaient au moment de leur mobilisation. Mais la résidence des parents de tel ou tel poilu suffit parfois pour que son nom figure sur le monument, à leur demande.
La mise en ligne de la base de données « Mémoire des hommes », son indexation, l’accès facilité aux fiches matricules ont conduit nombre de particuliers, d’associations aussi, à se pencher sur la liste des morts de leur commune, à pointer du doigt les fréquents écarts entre celle figurant sur le monument et celle à laquelle ils arrivaient, suivant des méthodes diverses. C’est ce travail que l’association bannalécoise Passé Composé a réalisé.
Parmi les 743 monuments des 4 départements bretons, 375 sont construits dans le cimetière, soit la moitié d’entre eux. L’édification des monuments aux morts dans le cimetière (exonéré des interdits de la loi de séparation de 1905) ou près de l’église marque la prévalence du choix d’un espace religieux. A Bannalec, le monument est devant la Mairie, à l’emplacement qui deviendra plus tard la place Charles de Gaulle. Ce choix n’est pas neutre en particulier au regard de la laïcité. Yves Tanguy, maire de 1912 à 1942, radical-socialiste engagé, souhaitait la construction d’un monument « civique », laïque et républicain, commun à tous les Bretons sur la place de la mairie.
La stèle en pyramide (ou en obélisque) est la forme la plus fréquente, elle représente 49,6 % des monuments en Bretagne. Elle est souvent liée à une construction précoce et à la faiblesse des moyens financiers.
René Quillivic (1879-1969), sculpteur breton en Cornouaille, a édifié plusieurs monuments représentant des femmes et enfants montrant leur douleur auprès du mari ou père disparu.


Sur le monument aux morts de Bannalec, érigé en 1921, c’est la statue d’une jeune bretonne avec coiffe qui trône à la place du traditionnel soldat. En effet, Yves Tanguy, le Maire, et les conseillers municipaux d’alors avaient souhaité la représentation d’une proche parente d’une victime de la Grande Guerre, pour souligner le rôle magistral des femmes qui ont maintenu l’activité de la commune, œuvrant aux champs avec vieillards et enfants pendant que les hommes étaient à la guerre. De plus, l’image sculptée de la femme atteste la volonté de bretonniser le monument en faisant appel à des artistes régionaux réputés. Un casting a donc été organisé par René Quillivic et une jeune fille d’à peine 20 ans a été choisie. C’était la sœur de l’aviateur Jean Bourhis (natif de la commune et mort au front en 1916), Marie Bourhis. Elle porte là le costume de deuil de Bannalec, mais sans la cape signe de grand deuil. Ses pieds sont visibles, car après la guerre la jupe avait été raccourcie.


C’est le 28 mai 1922 que le Monument aux morts de Bannalec a été inauguré. Ce jour-là, toutes les maisons du bourg étaient décorées et pavoisées. Toute la population a participé à l’évènement. Les correspondants de la presse locale et régionale sont présents. Les représentants politiques font des discours, la population se rend en cortège au cimetière, les enfants des écoles chantent, un banquet réunit les notables et les anciens combattants, une retraite aux flambeaux achève les festivités.
En mars 1979, sur décision du Conseil municipal, le Monument aux Morts a été changé de place, au motif principal qu’il coupait la perspective depuis la Mairie, pour le mettre dans l’ancienne cours de l’école devenue « place de la Mairie » rue de Quimperlé.

