Le crash du Black Swan le 31-12-1943

Préambule

Au printemps 1942, c’est à l‘US Army Air Corps que revint la lourde tâche d’engager le combat contre l’Allemagne hitlérienne. A cet effet, les unités de la 8ème Air Force (qui devint la fameuse « Mighty Eighth », la plus grande armada aérienne du monde, capable d’envoyer plus de 2 000 bombardiers lourds et plus de 1 000 avions de combat en une seule mission) arrivèrent des États-Unis et s’établirent à High Wycombe, en Angleterre, le 12 mai 1942. Des bases aériennes furent créées ex nihilo dans la campagne anglaise pour former le 97ème groupe de bombardement chargé de mettre en œuvre la tactique officielle de l’USAAF (United States Army Air Forces), à savoir, le bombardement à haute altitude et de jour. 

Le 31 décembre 1943, des centaines de B-17 et des dizaines de B-24 (au total 447 avions) décollèrent de Grande Bretagne pour une mission de bombardement à Cognac (présence de la Base aérienne nazie, centre de perfectionnement pour l’aviation allemande) et Bordeaux-Mérignac (installations aéroportuaires allemandes).

Cette mission du 31 décembre 1943 fut difficile car les conditions météo étaient très mauvaises et 10 appareils furent perdus. Une centaine d’aviateurs ne rentrèrent pas ce jour-là, nombreux furent tués, d’autres prisonniers et quelques-uns réussirent à regagner l’Angleterre grâce à l’aide de la résistance.

L’escadre, partie d’Angleterre, traversa la Bretagne bien à l’est de Brest en direction du golfe de Gascogne puis quitta la zone maritime pour obliquer vers l’objectif principal, la base de Bordeaux Mérignac, l’heure sur objectif était prévue à 11H30 à une altitude de 17500 pieds. L’objectif, couvert par les nuages, ne put être bombardé, une partie de l’escadre mit alors le cap sur les objectifs secondaires : Bussac-Forêt, Cognac, Châteaubernard, Fontenet à St-Jean-d’Angély et La Rochelle-Laleu. Parmi les B-17, figurait le bombardier B-17F 42- 29895 DF-H du 91st Bomb Group, 324th Squadron abattu le 31 décembre 1943 au-dessus de Bannalec.

L’appareil B17 Flying Fortress

Le Boeing B17 Flying Fortress est certainement le bombardier américain le plus connu de la seconde guerre mondiale, c’est en tout cas celui qui a largué le plus de bombes au cours de ce conflit. Son impressionnant système de défense lui valut le surnom de « Forteresse Volante » .

Le B17 fut construit à 12 677 exemplaires et servit sur tous les théâtres d’opération jusqu’en 1945. La robustesse du B-17 était fort appréciée par les équipages qui savaient qu’ils pourraient rentrer à bon port même après avoir encaissé de gros dommages. Malgré cela, environ 4750 exemplaires furent perdus au combat, soit un peu plus du tiers du nombre total de B-17.

Le Black Swan B-17F 42- 29895 DF-H du 91st Bomb Group, 324th Squadron

Le bombardier B-17F 42- 29895 DF-H du 91st Bomb Group, 324th Squadron portait le nom de « Black Swan » (Cygne Noir) car de nombreux aviateurs avaient pour coutume de donner des noms à leurs avions. D’ailleurs, plusieurs avions affichaient ce nom, sans doute en référence au film de pirates hollywoodien « The black swan » réalisé par le cinéaste américain Henry King et sorti en 1942. Ils pouvaient aussi se distinguer par des motifs peints sur leurs nez (« Nose Art ») comme un drapeau à tête de mort, un cygne noir, etc. Sur celui du B-17F 42- 29895 DF-H du 91st Bomb Group, 324th Squadron était représenté un bateau de pirates toutes voiles déployées et au-dessus duquel était inscrit, en arc de cercle, « The Black Swann ».

Ces peintures étaient tolérées par l’Etat Major, car elle permettaient de maintenir le moral des troupes. En effet, les équipages passaient de nombreux jours sans voler. Pour s’occuper, les hommes cherchaient à trouver le meilleur nom ou motif pour leurs avions. Ces motifs étaient peints par l’équipage ou par un artiste officieusement reconnu par la hiérarchie militaire. Les hommes pouvaient plus facilement identifier un avion par son surnom que par son numéro de série et ce caractère affectif permettait de mieux passer les moments difficiles

Le Crash 1

Le 31 décembre 1943, le B-17 Fortress- s/n 42-29895 DF*H « The Black Swan », décolle de la Station 121 Bassingbourn, Cambridgeshire, Angleterre.

En chemin, à 12h30, le Black Swan est touché au niveau de l’aile droite par un tir de la FLAK (défense anti-aérienne allemande), le moteur 3 est hors service, le pilotage devient difficile.

La pression du moteur 4 chute à son tour indiquant que son compresseur est aussi endommagé. La forteresse volante a du mal à maintenir son altitude. L’équipage décide d’alléger son avion en larguant ses bombes dans l’océan après avoir opéré un demi-tour, espérant ainsi regagner l’Angleterre.

L’avion atteint le Finistère vers 15h, le pilote, Verne Woods (lire son témoignage), appelle les mitrailleurs à la plus grande vigilance, bien conscient d’une possible attaque de la chasse Allemande très présente dans la péninsule de Brest.

Malgré cela, personne n’a remarqué les deux FW-190 de la Luftwaffe (dont la base se situait à Kerlin Bastard [Lann-Bihoué], près de Lorient) qui sont apparus au nez du B-17F. Le combat s’engage. Au bout du troisième passage, deux ou trois obus déchirent le cockpit du Black Swan tuant instantanément le co-pilote Stuart Mendelsohn et blessant grièvement le sergent Richard G. Hensley, mécanicien. Malgré le trou béant et le bruit assourdissant provoqué par le vent, le pilote Verne Woods parvient à contrôler les mouvements de l’avion et à donner l’ordre à son équipage d’évacuer l’appareil qui est au-dessus de Bannalec. Les aviateurs s’éjectent de l’avion et actionnent leurs parachutes à l’exception de Richard Hensley qui, sans doute en état de choc causé par ses blessures, ne parvient pas à sauter. Verne Woods active alors le pilote automatique pour sauter à son tour. Le B17 en perdition s’écrase dans un champ à Kérancréac’h, au sud-ouest de la commune près de la ferme où vivent, Pierre Gorret (grand-père d’Yves Carnot) et ses enfants. L’événement se déroule au-dessus d’eux.

Après leur atterrissage en parachute, les huit survivants doivent ramasser leur voilure au plus vite et trouver de l’aide, ils vont se disperser dans la campagne du Trevoux et de Bannalec.

Près du lieu du crash, Pierre Gorret trouvera la plaque d’identification du B17F qui sera  remise à James Quinn (voir infra) par Yves Carnot. Cette plaque se trouve aujourd’hui au National Muséum of United States Air Force.

Sur 10 membres d’équipage, deux seront tués au combat, 6 seront arrêtés, seuls 2 pourront s’évader et regagner l’Angleterre grâce notamment au réseau de résistance Shelburn, créé le 1er mars 1943 pour récupérer les aviateurs alliés. 

L’Equipage, unité 91 stBG/324thBS/8thAF

  • Richard G. Hensley, sergent, mécanicien, grièvement blessé dans l’avion, il ne peut pas enfiler son parachute et meurt dans le crash. Il repose au cimetière américain de Saint-James : Plot G, Rangée 14, Tombe 1.
  • Stuart B. Mendelsohn, pilote, tué dans l’avion, repose au cimetière américain de Saint-James Plot J Rangée 11 Tombe 1
  • Verne E. Woods, copilote, sera fait prisonnier par les allemands et envoyé au stalag Luft Barth Volgelsang en Allemagne , décédé le 12 mars 2016 à 95 ans.
  • Warren L. Ellis, sergent, navigateur, sera fait prisonnier et envoyé au stalag Luft Barth Volgelsang en Allemagne.
  • James Nicolas Quinn, sergent, radio, dernier rescapé du Black Swan, il atterrit à KeramBoyec et sera secouru par Maie Poupon, il sera ensuite hébergé et caché pendant plusieurs jours par des habitants (réseau libé-nord, réseau Vengeance) avant d’être pris en charge par le réseau Shelburn qui organisera son rapatriement par bateau en février 1944 (opération Napoléon du nom de la plage de Plouha en Normandie d’où partiront les bateaux pour l’Angleterre).
  • James A Schneider, lieutenant, bombardier, opérateur, 4e à avoir sauté, il atterrit à Tromelin, rapidement secouru et caché par trois jeunes Lili Le Gallic, Jean Jegou, Jojo Pascou. Il sera caché conduit vers le réseau Shelburn qui organisera son rapatriement avec James Quinn vers l’Angleterre.

Voir les rapports d’évasion des sergents Quinn et Schneider : 
https://nara-media-001.s3.amazonaws.com/arcmedia/nw/305270/EE-432.pdf
https://nara-media-001.s3.amazonaws.com/arcmedia/nw/305270/EE-433.pdf

  • Larry C. Hull, sergent, mitrailleur, radio, sera arrêté et fait prisonnier au stalag 17 B Braunau à Gneikendorf, Autriche.

  • Porter D. Clemens, sergent, mitrailleur, sera arrêté et fait prisonnier au stalag Luft III Sagan-Silesia, Pologne

  • Abraham Rock Liebermann sergent, mitrailleur 1er membre de l’équipage à avoir sauté. Il atterrit sur la commune du Trévoux, rapidement secouru par le jeune Lucien Tallec, et il sera caché dans le creux d’un vieux chêne puis dans une vieille réserve à pommes de terre. Le capitaine Louis Lavat du Réseau Vengeance ayant été prévenu prépare un plan d’évasion. Le 2 janvier Rock Lieberman est conduit au presbytère de Pont-Aven ou il est caché par les deux abbés Tanguy, Recteur et Vicaire de Pont-Aven . Deux jours plus tard il sera arrêté avec Rollin Gater ainsi que les deux abbés Tanguy. 

  • Rollin E. Gater, sergent mitrailleur, 2e à avoir sauté. Il atterrit sur la commune du Trévoux et sera hébergé dans la ferme de Felix Le Bris de Kérose en Bannalec. Pris en charge par le réseau de Louis Lavat il sera lui aussi conduit au Presbytère de Pont-Aven, caché par les abbés Tanguy et arrêté. Il sera prisonnier au stalag 17 B Braunau à Gneikendorf, Autriche.

Commémorations à Bannalec en quelques dates

Juillet 97 exposition sur le crash du Black Swan à la Chapelle de Trébalay lors du Pardon annuel 


Le 31/12/1997, Inauguration d’une stèle commémorative à Keranchreac’h sur les lieux du crash (fabriquée par Yves Carnot qui depuis, chaque année participe à l’organisation d’une Cérémonie sur les lieux du crash, avec les autorités militaires et patriotiques).


31/10/1998 Inauguration d’une stèle en granit


31/12/2007
Présence d’un détachement du RIMA de Vannes, du représentant de l’ambassade des Etats Unis Douglass W Wells, du lieutenant de vaisseau Shin Doan et des deux enfants de Richard Georges Hensley Sergent mitrailleur.

Les enfants de Hensley, Ted Hensley et DeEtta Lorente ont appris grâce à Yves Carnot l’histoire de leur père mort alors qu’ils avaient respectivement 6 mois et 2 ans, leur mère n’ayant jamais voulu leur en parler.
Le drapeau américain a été remis aux enfants et des gerbes de fleurs déposées devant la stèle.

Le maire a remis aux enfants, en souvenir de leur passage à Bannalec, ainsi qu’à Yves Carnot en remerciement de l’énorme travail de recherche accompli, l’assiette de la ville de Bannalec.
Yves Carnot a également remis aux enfants la montre de leur père qui avait été cachée par un riverain lors du crash.

4/10/2015 salle Ti Laouen, Conférence de Yves Carnot sur le Black Swan organisée par Passé Composé

Bulletin-municipal-septembre-2015 : « Dans le cadre du 70ème anniversaire de la fin de la guerre 39-45, l’association Passé Composé, en partenariat avec Yves Carnot, propose de retracer l’histoire du bombardier US tombé à Kerancreac’h le 31 décembre 1943 pour que ce crash ne sombre pas dans l’oubli. L’occasion de retracer le parcours des membres de cet équipage et de leur rendre hommage. »


31/12/2015 Ouest France du 4/01/2016
« Des associations patriotiques, des militaires, des autorités civiles mais également cinq Américains, de la famille de l’aviateur Richard Hensley, ont suivi avec attention le discours du maire et le récit émouvant et bilingue d’Yves Carnot sur ses recherches et ses rencontres avec quelques protagonistes de cette histoire.

Les enfants de Richard Hensley, Ted et DeEtta sont revenus depuis à Bannalec » […]. […]Ted Hensley est décédé le 28 janvier 2014. Jeudi dernier, DeEtta et Tom Lorente, Patty (veuve de Ted), Kathy et Jim (soeur et beau-frère de Patty) étaient présents à la cérémonie pour évoquer cette histoire avec les témoins. »

16/09/2016 Exposition Chapelle de Trebalay


31/12/2018 Le Telegramme du 2/01/2019

« Plus de 150 personnes ont assisté, ce lundi, à la cérémonie de Kérancréac’h, rappelant le crash du The Black Swan, 75 ans plus tôt, le 31 décembre 1943. La famille du mécanicien américain, Richard G. Hensley, mort sur le sol bannalécois, est venue tout spécialement.

Etait présente Patti Hensley épouse de Ted Hensley accompagnée du sheriff de l’Etat de Washington dans l’Ohio Rick Goodwin

Inauguration d’une stèle réalisée par les élèves du lycée de l’Elorn à Landerneau à l’endroit précis du crash en plein champ

La plaque a été dévoilée par Yves Carnot et le shérif Goodwin du Pacific County de l’Etat de Washington où vivait Ted Hensley »

Les abbés Joseph Tanguy et Francis Tanguy

Le 3 janvier 1944 suite à une dénonciation, la Gestapo, police politique de l’Etat nazi, s’est présentée au Presbytère de Pont-Aven et s’est emparé des deux abbés, Joseph Tanguy Recteur et Francis Tanguy son vicaire, ainsi que des deux aviateurs américains.

Le Recteur, qui s’était engagé à l’âge de 61 ans au réseau Evasion de Turma-Vengeance pour héberger et assurer la filière de rapatriement des aviateurs alliés abattus en Bretagne, abritait en effet depuis 3 jours les deux  parachutistes américains. 

Emprisonnés à Saint Charles – prison nazie de Quimper-, les prêtres de Pont-Aven y restèrent jusqu’au 29 mars de la même année. Dirigés vers le camp de Royallieu à Compiègne le 29 mars, ils partirent pour l’Allemagne le 27 avril 1944 (convoi des Tatoués parmi lesquels se trouvaient le poète Robert Desnos – décédé en juin 1945 à Theresienstadt et Marcel Paul qui deviendra ministre de la production industrielle sous le Général De Gaulle).

Enfermés au camp d’Auschwitz et ensuite à Buchenwald ils firent l’admiration de tous par leur courage et leur esprit de charité.

Le Recteur Joseph Tanguy mourut d’une pneumonie à Buchenwald en mai 1944
Au mois de juin de la même année Le Vicaire Francis Tanguy quitta Buchenwald pour Flossenburg où il mourut en septembre de misère et de faim.

Un très beau vitrail œuvre du réputé maître verrier Job Guével, dans l’église de Pont-Aven rend hommage aux deux abbés. 

En 2004 du lundi 13 au samedi 18 septembre : la paroisse de Pont-Aven a organisé une exposition « 1944-2004 », pour le soixantième anniversaire de la mort des Abbés Tanguy; à cette occasion un Livret Souvenir « 1944-2004 Soixantième anniversaire de la mort des abbés tanguy recteur et vicaire de Pont-Aven » a été rédigé par la paroisse.

Lire :

Le « Plaidoyer de l’Abbé Joseph Tanguy à Monsieur l’Officier Juge d’Instruction et à Messieurs les Officiers, Président et Assesseurs du Conseil de Guerre allemand de Quimper » dans le document TEMOIGNAGES recueillis par M.A.Rouyer.

Les lettres adressées par le Recteur Joseph Tanguy de la prison Saint Charles -Kerfeunteun à la Madame Jaffre, déléguée à la Croix Rouge en février 44.

Joseph Tanguy

Né le 8 juillet 1882 à Saint Martin de Champs-Morlaix, Etudes au Grand Séminaire de Quimper.
Ordonné prêtre en 1905, Etudes à Rome, Séminaire français, licence de Théologie.
Vicaire à la paroisse des Carme-Brest-1907, Directeur du grand Séminaire de Quimper-1908, Professeur de Moral et de Philosophie.
Recteur de Pont-Aven en 1926.
Arrêté le 3 janvier 1944, emprisonné à Saint Charles, Kerfeunteun, Déporté et mort à Buchenwald (matricule 186.453) en mai 1944 à l’âge de 62 ans.

Francis Tanguy

Né le 30 avril 1896 à Saint Martin de Champs-Morlaix, Etudes au Grand Séminaire de Quimper.
Ordonné prêtre en 1903, Surveillant au Kreisker à Saint Pol de Léon en 1923, Professeur au Kreisker à Saint Pol de Léon en 1924.
Vicaire à Pont-Aven en 1937.
Arrêté le 3 janvier 1944, emprisonné à Saint Charles, Kerfeunteun, Déporté et mort à Flossenburg (matricule 186.452) en septembre 1944 à l’âge de 48 ans.

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  1. écrit sur la base du témoignage de Verne Woods ↩︎