Temoignage de Verne Woods

Texte original : The Deah of the Black Swan by Verne Woods – 91st BG

Traduction

Une semaine environ avant la mission du 31 décembre 1943, mon équipage, l’équipage Mendelsohn (voir photo ci-dessous), était en train de se désintégrer. Notre navigateur, Bill Borellis, avait été promu au poste exaltant de navigateur du 91e groupe de bombardement ; notre bombardier, Harold Fox (qui allait plus tard être tué au combat au-dessus de Hambourg) avait demandé une formation spéciale de navigateur et quittait l’équipage, et le pilote, Stuart Mendelsohn, avait été désigné, mais pas encore officiellement installé, comme nouvel officier des opérations de la 324e escadrille. Quant à moi, je venais d’être nommé premier pilote et j’étais sur le point de prendre en charge ce qu’il restait de notre équipage d’origine.

En tant que 324e officier des opérations désigné, Stuart passait ses soirées dans le bureau du quartier général de l’escadron, et je passais généralement le voir pour savoir ce qui se préparait pour le lendemain. Dans la nuit du 30 décembre 1943, je l’ai trouvé en train de programmer les équipages pour la mission du lendemain. Lorsque je suis entré dans le bureau, il a levé les yeux et m’a dit : « Je n’ai pas encore de copilote pour vous. Cela vous dérange si je vous accompagne en tant que copilote ? » C’est ainsi que Stuart a occupé le siège de droite pendant la mission. L’inversion de nos rôles aurait pu être, psychlogiquement, embarassante, si ce n’est que nous étions déjà habitués à prendre ensemble des décisions et que rien n’était vraiment différent.

La mission du 31 décembre 1943 dans la région de Bordeaux-Cognac en France est longue : onze heures entre le décollage et l’atterrissage. Lors du briefing de 5h30, on nous a dit que ce serait une mission facile. Comme l’avion que notre équipage utilisait habituellement, le Duke of Paducah, était au hangar pour réparer les trous occasionnés par la DCA, on nous a assigné un remplaçant, un B-17F, le Black Swan.

La mission s’est déroulée à 21 000 pieds. Au-dessus du golfe de Gascogne, un fort vent arrière nous a permis d’atteindre la région de Bordeaux bien plus tôt que prévu. Ce même vent allait cependant retarder considérablement notre voyage de retour. Immédiatement après avoir traversé la côte française, nous avons été confrontés à une DCA ennemie d’une précision et d’une intensité inattendues. Une explosion forte et puissante secoua soudain notre avion qui se rapprocha dangereusement d’un autre B-17. La salve de DCA, avec son foyer orange vif, a explosé directement au-dessus de l’aile droite, un gros nuage noir nous enveloppant le temps de le traverser. Des éclats d’obus ont troué le revêtement en aluminium près de Mendelsohn, mais personne n’a été touché. Mais un peu plus tard, le moteur numéro trois a gelé et nous n’avons pas pu mettre l’hélice en drapeau. La pression du collecteur du moteur numéro quatre a chuté brusquement, ce qui indique que le compresseur de suralimentation de ce moteur a également été endommagé. Même à plein régime, nous n’arrivions pas à maintenir l’altitude. Nous avons pris du retard, voyant la formation de B-17 du 91e groupe de bombardiers s’éloigner devant nous.

Nous avons fait demi-tour, virant au nord-ouest pour revenir au-dessus du golf de Gascogne. Là, nous avons ouvert les portes de notre soute à bombes et les avons larguées au-dessus de l’eau sans faire de dégâts. La poussée des moteurs étant fortement compromise, nous avons pris un cap en solitaire et incertain vers le nord qui, nous l’espérions, nous ramènerait en Angleterre. Notre progression a été ralentie par un fort vent de face. Nous estimâmes qu’il nous faudrait deux heures pour rejoindre la péninsule de Brest. Nous perdions encore progressivement de l’altitude et nous ne pouvions rien y faire mais lorsque nous avons atteint l’atmosphère plus dense à environ 14 000 pieds, notre altitude s’est stabilisée comme nous l’avions espéré. Peu de temps après, cependant, la jauge de température de notre moteur numéro un a commencé à monter. Nous avons mis les gaz et avons recommencé à perdre de l’altitude.

La surchauffe était due au mélange de carburant très pauvre avec lequel nous avions réglé les moteurs 1 et 2 afin d’économiser du carburant. Un mélange air/carburant plus riche abaisserait la température du moteur, mais au prix d’une augmentation de la consommation de carburant. La combinaison de l’hélice sans drapeau sur le moteur trois et du lacet vers la gauche dû à une poussée déséquilibrée du moteur avait créé une forte traînée épuisant le carburant. Nous craignions de devoir amerrir l’avion dans la Baie. Mendelsohn et moi avons débattu de l’opportunité de tourner à nouveau vers l’est, où, si nous devions abandonner l’avion, nous pourrions sauter en parachute au-dessus de la terre ferme. Cette mesure extrême a été exclue car nous savions qu’à basse altitude, les moteurs alternatifs (contrairement aux moteurs à réaction) sont plus efficaces. De plus, dans l’air plus dense des basses altitudes où le refroidissement du moteur s’améliore, nous serions alors en mesure d’obtenir plus de poussée de notre moteur numéro un en surchauffe. Cela semble invraisemblable, je sais, mais de toutes les préoccupations qui nous assaillaient, Mendelsohn et moi, au cours de ce long voyage de retour, la chose dont je me souviens le plus clairement maintenant, rétrospectivement, est la façon dont Mendelsohn et moi avions constamment ajusté et affiné le rapport air/carburant du moteur un.

À environ 10 000 pieds, nous avons de nouveau cessé de perdre de l’altitude. Nos préoccupations concernant le carburant nous avaient tellement absorbés que nous n’avions guère pensé aux 40 minutes de traversée de la péninsule de Brest et à la possibilité d’une attaque de chasseurs qui nous y attendait. Pendant les deux heures passées au-dessus de la baie, Mendelsohn et moi avons eu tout le loisir d’évaluer nos différentes options. Devions-nous suivre les procédures recommandées selon lesquelles les avions retardataires, ayant quitté la formation, doivent se mettre sur le pont – c’est-à-dire survoler le territoire ennemi à basse altitude, où la détection et le suivi sont plus difficiles ? Ou devrions-nous maintenir notre altitude de 10 000 pieds ? Plusieurs considérations nous ont amenés à décider de rester à cette altitude. Nous pensions qu’il était probable que nous tombions en panne de carburant quelque part au-dessus de la péninsule de Brest. Dans ce cas, nous aurions besoin d’une marge de sécurité d’environ mille pieds si nous devions sauter. Mais la véritable raison pour laquelle nous avons décidé de rester à 10 000 pieds était que nous avions besoin d’un coussin d’altitude. Notre B-17 paralysé ne pouvait tout simplement pas monter. Une fois que nous avions perdu un peu d’altitude, nous ne pouvions pas la regagner, même avec les deux moteurs et demi à plein régime. Plus tard, bien sûr, je regretterai le fait que nous n’ayions pas suivi les procédures recommandées, selon lesquelles les pilotes d’avions retardataires ont pour instruction de revenir au niveau de la cime des arbres.

Enfin, nous avons atteint la péninsule de Brest. Et immédiatement, nous avons été attaqués. Malgré les appels à la vigilance lancés à l’équipage par l’intercom, personne n’a vu les deux FW-190 jusqu’à ce qu’ils apparaissent soudainement juste devant nous. Ils venaient de la position haute classique de douze heures, en tandem, l’un après l’autre. J’ai vu les obus de 20 mm exploser, de petites bouffées de fumée noire, avant de voir les deux FW-190 – les croix noires bien visibles sur le dessous de leurs ailes alors qu’ils effectuaient un virage en split-S en plongée juste devant nous. Les pilotes des FW-190 semblaient inexpérimentés. Tous deux avaient tiré beaucoup trop tôt, contrairement aux attaques de chasseurs que nous avions subies au-dessus de l’Allemagne, où les pilotes ne tiraient que jusqu’à ce qu’ils vous percutent presque. Après ce premier passage, l’équipage a observé (et signalé sur l’intercom) que les deux FW-190 tournaient en rond hors de portée sur notre droite. Lors de leur deuxième passage frontal, ils ont à nouveau tiré prématurément avec leurs canons de 20 mm. En raison de cette apparente inaptitude, je commençais à me sentir un peu plus confiant dans notre capacité à nous échapper. Lors du troisième passage, le FW-190 de tête a maintenu le feu jusqu’à la dernière seconde. Je savais que nous allions nous faire exploser. Et c’est ce qui s’est passé.

Deux ou trois roquettes (peut-être plus) s’écrasèrent sur la fenêtre droite du cockpit et en arrachèrent le cadre. Explosant dans le cockpit, les roquettes tuèrent Mendelsohn sur le coup. Le sang giclait partout. En le voyant sur ma veste et mes gants de vol, j’ai cru que j’avais été touché moi aussi. Le vent qui s’engouffrait par la grande ouverture sur le côté droit du cockpit était assourdissant. Mais l’avion lui-même semblait pouvoir voler, mais je n’arrivais pas à corriger un faible piqué vers la gauche. Le gouvernail semblait bloqué. J’ai appuyé sur le bouton de panique pour demander à tout le monde de quitter l’avion. Du moins, je crois que je l’ai fait, mais je ne me souviens pas de l’avoir fait. J’ai essayé de remettre l’avion en ligne droite, mais je n’ai pas réussi à corriger le blocage du gouvernail gauche. Le bruit du vent dans le cockpit était incroyablement strident, mais les moteurs tournaient bien. Puis, à environ 3 000 pieds, dans un moment de panique soudaine, j’ai décidé que je ferais mieux de me tirer d’affaire. J’ai enclenché le pilote automatique (conformément aux procédures d’abandon des avions) et j’ai quitté le siège du cockpit. J’ai été surpris de voir que Richard Hensley, l’ingénieur/canonnier de la tourelle supérieure, était toujours là, assis sur le piédestal du canon de la tourelle supérieure. Il ne semblait pas être blessé. J’ai fait un geste en direction de la trappe d’évacuation avant ouverte par laquelle le lieutenant bombardier et le navigateur étaient déjà sortis. J’ai ensuite pris un parachute pour le lui donner, mais il l’a refusé. Il n’était plus en état de comprendre ce qui se passait. Puis j’ai réalisé que l’avion était sur le point de s’écraser à tout moment. J’ai enfilé le même sac de parachute que j’avais offert à Hensley et j’ai plongé par la trappe ouverte.

J’ai tiré sur la corde, le parachute s’est ouvert et la seconde suivante j’étais à genoux sur le sol. À une centaine de mètres de là, le Cygne Noir toucha le sol à peu près au même moment. Je savais que Mendelsohn et Hensley étaient restés dans l’avion. Une épaisse fumée noire marqua bientôt le point d’impact. Loin sous le vent, toujours haut dans le ciel, j’ai compté cinq parachutes de membres d’équipage qui avaient sauté plus tôt. Où étaient les deux autres membres de l’équipage ? (Eux aussi étaient sortis sains et saufs, je l’apprendrais beaucoup plus tard.) Les deux FW-190 n’étaient nulle part en vue.

Premier épilogue : Le Black Swan s’est écrasé sur la grange d’un agriculteur français dans le petit village de Bannalac en Bretagne. Cinquante-cinq ans plus tard, le 31 octobre 1998, Yves Carnot, le petit-fils du fermier dans la grange duquel le Black Swan s’était écrasé, a érigé un petit monument en France à la mémoire des deux membres de l’équipage qui y ont trouvé la mort. Carnot m’a envoyé une vidéo des cérémonies auxquelles ont assisté quelque 300 personnes. Parmi elles se trouvait un représentant de l’ambassade américaine à Paris. Mais ni moi ni aucun des autres membres d’équipage survivants n’étions présents. Plus tôt dans l’année, en mai 1998, M. Carnot m’avait rendu visite, ainsi qu’à mon épouse, à Lexington, dans le Massachusetts, apportant avec lui plusieurs morceaux d’aluminium du Black Swan récupérés sur le site du crash. J’ai recommandé M. Carnot au conservateur du musée du 91st Bomb Group à Bassingbourn, en Angleterre, et M. Carnot a envoyé au conservateur plusieurs morceaux de ferraille pour qu’ils soient exposés au musée. Le conservateur, Steve Pena, m’a ensuite écrit pour me dire : « Vous serez heureux d’apprendre que des pièces du Black Swan sont enfin revenues à Bassingbourn ».

Deuxième épilogue : Le pilote de la Luftwaffe qui m’a abattu était Obfw. Addi Glunz du groupe de chasse de la Luftwaffe, FG 26. Je l’ai appris en mai 1999, après avoir publié un avis sur une page Web de la Luftwaffe, demandant « Qui m’a abattu ?». J’ai reçu trois réponses, toutes suggérant que le pilote était très certainement Addi Glunz. L’un d’entre eux m’a envoyé des photos de Glunz et une copie photocopiée d’une page de son journal de bord où il est noté qu’à 15 heures, le 31 décembre 1943, Glunz a intercepté un B-17 qui traînait et l’a abattu. Pendant toutes ces années, j’ai eu l’impression erronée que les deux pilotes de FW-190 étaient inexpérimentés. Glunz était en fait l’un des pilotes les plus talentueux de la Luftwaffe, un as de la chasse qui avait abattu de nombreux chasseurs et bombardiers britanniques et américains. Le Black Swan est la 51e victoire de Glunz. J’ai appris que Glunz avait survécu à la guerre, qu’il était toujours en vie mais qu’il souffrait désormais d’une incapacité mentale. C’est dommage. J’aurais aimé échanger des notes avec lui sur les événements du 31 décembre 1943.

Note de bas de page : L’homme qui a abattu votre B-17, Adolf Glunz du JG26, est décédé le 1er août 2002. Il souffrait de la maladie d’Alzheimer depuis 1986 et luttait également contre la maladie de Parkinson. « Addi » Glunz a effectué un total de 574 missions, dont 238 avec contact avec l’ennemi, remportant 71 victoires. Son total comprend 19 bombardiers quadrimoteurs.