Le 11 décembre 1935, les « Chemises vertes », symbolisées par son leader Henry-Auguste d’Halluin, dit Henry Dorgères, et dont la coloration laisse peu d’ambiguïtés aux profanes sur la nature du mouvement (la parenté avec d’autres chemises brunes ou noires allant de soi), tenaient à Bannalec leur premier congrès constitutif. Mais qui était Henri Dorgères et quelle est l’histoire du « dorgérisme » ?
Au cours de la Grande Guerre 130 000 Bretons ont perdu la vie. La majorité d’entre eux étaient des ruraux enrôlés dans l’infanterie. La paysannerie bretonne sort du conflit non seulement avec une perception accrue de son identité et de sa place dans la Nation mais aussi avec une volonté d’améliorer ses conditions de vie. L’affirmation des aspirations paysannes s’impose désormais comme une donnée majeure dans la société bretonne.
La montée des préoccupations économiques au sein de la paysannerie se remarque dans les nombreux achats de terres rendus possibles par la relative prospérité des années 1920 et dans le développement des structures syndicales et mutualistes qui l’accompagne comme l’emblématique Office central de Landerneau fondé en 1911 par des grands propriétaires fonciers conservateurs et antirépublicains, présidé depuis 1919 par le comte Hervé Budes de Guébriant et dont l’objectif est de soutenir la modernisation agricole bretonne tout en gardant le contrôle social et politique sur les paysans.
Mais loin des grandes organisations centralisées, encore sous influence aristocratique, émergent en Bretagne, notamment en Ille-et-Vilaine, des organisations communales de « cultivateurs cultivants », inspirées par des abbés républicains comme l’abbé Mancel, dirigées par les paysans eux-mêmes et qui constituent des espaces de fourniture de services, du crédit à l’achat de produits, mais aussi de discussion et d’action. Ce mouvement se transformera en Fédération des syndicats paysans de l’Ouest en 1926 puis deviendra la Ligue des paysans de l’Ouest.
Dans l’entre-deux-guerres, la Bretagne rurale connaît un profond malaise. Depuis près d’un demi-siècle, la décadence des industries traditionnelles –notamment l’industrie toilière –, la persistance d’une natalité élevée, la précarité de la vie du prolétariat rural dans les campagnes bretonnes, la tension sur la demande de terres et la place introuvable de la Bretagne dans l’horizon progressiste après la Première Guerre mondiale débouchent sur un exode rural (qui va toucher 200 000 personnes) vers les villes bretonnes, vers l’Aquitaine où les bras manquent (émigration de 2500 familles de paysans bretons organisée par l’Office Central de Landerneau et encadrée par l’Eglise), mais aussi vers La Beauce (ouvriers agricoles), Le Havre (dockers), Trélazé en périphérie d’Angers (ouvriers dans les ardoisières) et surtout vers Paris (ouvriers des industries chimiques à Saint-Denis, terrassiers dans la construction du Métropolitain, « bonnes à tout faire »). L’identité collective de la paysannerie bretonne va alors se construire sur le fond de cet antagonisme en se définissant comme en opposition par rapport à la ville.
Au début de l’année 1919, de vastes grèves en France débouchent sur la reconnaissance légale de la journée de 8 heures. Or, l’exploitation agricole est alors en concurrence avec l’industrie, et la journée de 8 heures et le mode de vie urbain attirent bien davantage que l’isolement social et culturel et les 12 à 16 heures de travaux ruraux. La petite et la moyenne paysannerie, propriétaire ou fermière, celle dont le recours à la main d’œuvre est essentiel, va alors chercher à s’opposer à cette prolétarisation des ouvriers agricoles qui affaiblit le statut paysan et son poids social.
Ce malaise breton qui s’installe, et avec lui la frustration sociale, va s’aggraver avec la grande dépression économique internationale de 1929 qui touchera la Bretagne au début des années 1930, enfoncera le monde agricole dans une crise profonde et contraindra les paysans à l’abandon de leurs terres et les ouvriers au chômage.
C’est dans ce contexte qu’un homme – né pourtant hors de Bretagne – réussit à y créer un puissant mouvement politique catalysant la colère paysanne pour la muer en un véritable « fascisme rural ». Cet homme s’appelle Henri d’Halluin, mais est plus connu sous le patronyme de Dorgères.
Il est né le 6 février 1897 à Wasquehal dans la banlieue de Lille, où son père possédait une petite boucherie. Enfant très brillant dans l’enseignement primaire, il reçoit le prix départemental au certificat d’études. Mais son père décède prématurément et le jeune Henri d’Halluin doit aider sa mère à tenir la boutique. Grâce à une bourse au lycée de Tourcoing, il pourra poursuivre ses études qui seront interrompues par la Première Guerre mondiale.
Pendant le conflit, il est arrêté à trois reprises et notamment en janvier 1918. Il est alors condamné et emprisonné à la forteresse de Bruges (4 février 1918), mais réussit à s’évader le 4 octobre. Cette action lui vaudra la Croix de guerre (1914-1918).
Après avoir passé un baccalauréat littéraire, Henri d’Halluin suit pendant deux ans des études de droit. Il se marie en 1921, s’installe dans l’ouest de la France (Ille et Vilaine) l’année suivante et commence à faire du journalisme au quotidien catholique et conservateur Le Nouvelliste de Bretagne qui travaille à la reconstruction d’une droite conservatrice en Bretagne. Henri d’Halluin se spécialise dans l’information agricole et devient ainsi un « défenseur » de la cause paysanne autour du « catholicisme social ». En mars 1925, il fonde une publication hebdomadaire, le Progrès agricole de l’Ouest, qui pratique « l’activisme au service de la France profonde », dont il prend la tête en 1927 et où il signe ses articles Henri Dorgères, du nom d’un petit village en périphérie de Rennes. Son objectif assumé est la sauvegarde de la communauté d’intérêt du paysan-villageois, ou du village paysan, en cherchant à former une communauté « historique », opposée au concept de lutte des classes. Henri Dorgères va jusqu’à parler d’un « État paysan », d’une « dictature paysanne ».
Mais, plus qu’un journaliste, Henri Dorgères est surtout un homme d’action. Il décide d’organiser progressivement plusieurs mouvements d’action paysanne.
- C’est d’abord le Comité de défense paysanne contre les assurances sociales qu’il fonde en janvier 1929 en Ille-et-Vilaine et qui s’oppose à la loi du 5 avril 1928, celle-ci étendant le bénéfice des assurances sociales aux seuls ouvriers agricoles mais pas aux propriétaires, fermiers et métayers qui devront cotiser plus pour profiter des dispositions de la loi. L’écho de la protestation dorgériste est immédiat ou presque.
Son succès, quoiqu’encore relatif à ce stade, traduit les évolutions du monde rural breton. Il témoigne de l’irruption de revendications purement socio-professionnelles dans un monde jusqu’ici habitué à tout ramener, en dernière instance, à des considérations religieuses. Mais il importe de souligner que cette campagne menée par le mouvement de Dorgères n’est pas seulement « professionnelle », elle s’inscrit aussi dans le prolongement de l’agitation menée par les dirigeants catholiques contre le Cartel des Gauches et son modèle républicain. Le crash de 1929 et la Grande Dépression qui s’en suivit avec la chute des prix agricoles aiguisèrent alors les contradictions sociales. Les paysans peinent à payer fermages et impôts et à rembourser leurs prêts. Beaucoup de paysans sont contraints de vendre leurs fermes, jusqu’à la moitié de leur valeur. Les faillites se multiplient. - C’est dans ce contexte de crise, qui permet aux forces politiques de droite d’exploiter les mécontentements, que, jusqu’au début de l’année 1933, Henri Dorgères se présente sous l’étiquette de la Ligue des contribuables (mouvement anti-fiscaliste qui basculera dans le fascisme en 1934 sous la présidence de Jacques Lemaigre-Lebreuil, actionnaire principal des huiles Lesieur et soutien du journal de Dorgères sous forme d’encarts publicitaires). C’est en février et mars 1933 que la ligue des contribuables organise de grands rassemblements dans les villes de la France de l’Ouest (Dinan, Gourin, Rennes).
Au cours des années 1930, une des principales formes prises par l’action directe dans la paysannerie est l’opposition à la vente-saisie des biens. C’est en grande partie la CGPT (Confédération Générale des Paysans-Travailleurs), fondée en 1929 et liée au Parti communiste, qui développe ce type d’action visant à s’opposer, parfois physiquement, à la vente de biens après le non-remboursement d’emprunts. Dorgères va reprendre à son compte cette forme d’opposition là où son organisation, « Défense paysanne », est bien implantée. Ainsi, le 16 juin 1933 à Bray sur Somme, il organisa une manifestation de masse à Bray sur Somme pour tenter de bloquer la vente sur saisies des biens d’un agriculteur (Valentin Salvaudon) jugé coupable de ne pas avoir payé les cotisations sociales pour ses salariés .Présenté dans le journal de Dorgères (le Progrès Agricole de l’Ouest) comme un « petit » agriculteur qui avait acheté ses terres à l’endroit où pendant la guerre il avait héroïquement défendu sa patrie, travaillant sa terre de ses propres mains et joignant difficilement les deux bouts, la réalité était tout autre : Il possédait 240 hectares de terres très fertiles, un camion et une automobile et employait 18 salariés et 20 ouvriers saisonniers ! Finalement, la vente eût tout de même lieu. Malgré cette défaite, Dorgères devint un vrai leader pour un certain nombre de petits paysans. - En 1934, il crée le Front Paysan, une coalition de trois blocs : l’Union nationale des syndicats agricoles (Issue de l’Union centrale des syndicats agricoles de France et dont les principaux dirigeants sont Jacques Le Roy Ladurie, le comte Hervé Budes de Guébriant, Louis Salleron, Roger Grand), le Parti agraire et paysan français de Fleurant-Agricola et enfin la Défense paysanne avec sa milice, les Chemises vertes, officiellement fondée en octobre 1935 et qui tiendra son premier congrès constitutif à Bannalec le 11 décembre 1935.
Ce congrès, préparé par 22 meetings dans le Sud Finistère, est un succès. Le matin, une réunion d’études attire 800 auditeurs. L’après-midi, le rassemblement réunit de 8000 à 10 000 paysans. C’est une victoire pour le dorgérisme. Le mouvement des « chemises vertes » a atteint son objectif : faire une démonstration de force et installer le dorgérisme comme une véritable colonne vertébrale de la contestation paysanne. Le corporatisme, l’antifiscalisme, l’antiparlementarisme, l’antirépublicanisme, l’antidémocratisme forment un socle qui obtient un écho favorable dans le monde paysan bousculé par la crise et les bouleversements des rapports entre villes et campagnes. L’apparition de leaders authentiquement paysans à l’instar de Jean Bohuon en Ille-et-Vilaine, de Joseph Divanac’h (Quimper) ou de Robert Fiche (Bannalec) dans le Finistère, de Henri Robichon en Loire-Inférieure, démontre au passage que le mouvement dorgériste est bien l’occasion pour l’élite de la petite et moyenne paysannerie bretonne de s’affirmer sur la scène socio-politique aux côtés des notables ruraux.
Mais le succès du dorgérisme resta relatif car il dût faire face à une forte opposition de gauche représentée notamment par le finistérien Guy Prigent. Celui-ci monta un syndicat agricole progressiste et anti-fasciste pour résister à la poussée de Dorgères et de ses Comités de défense paysannes et leurs milices les Chemises vertes. A partir d’avril 1935, il mena un farouche combat contre Dorgères. Avec le communiste Francis Marzin, ils lui portèrent régulièrement la contradiction et affrontèrent physiquement, à maintes reprises, les « Chemises vertes ».
Au cours des années suivantes, le Front populaire devient l’ennemi à abattre pour les dorgéristes qui mènent des actions violentes, notamment en brisant les grèves des ouvriers agricoles ou des maraîchers parisiens. Le dorgérisme cherche à se profiler comme le meilleur rempart contre le communisme. Faire reculer les Rouges devient alors une priorité, car la Gauche est considérée comme responsable de tous les maux de la paysannerie. Vis à vis de l’Etat, Dorgeres adopte une attitude ambiguë : d’un côté il réclame sa protection, d’un autre côté il refuse son ingérence.
Le dorgérisme périclite à partir de 1937. Les causes en sont multiples. L’hostilité des Français à l’idéologie fasciste, un Etat de droit fort et résistant sous le Front populaire face aux ligues factieuses, l’enracinement de la « République au village » qui confine le dorgérisme à certaines zones géographiques, à l’ouest et au nord, la fin du soutien des notables et des élites rurales à Dorgères, la faiblesse de son programme qui réside dans son caractère décentralisé, local, sans véritable relais au niveau national et dans l’absence d’envergure nationale.
Août 1939, c’est la déclaration de guerre. La Défense paysanne met fin à ses activités.
En 1940, Dorgères est à Vichy partisan inconditionnel du maréchal Pétain. En accord avec ce dernier, surnommé « Maréchal paysan », le Gouvernement de Vichy, sous l’impulsion des anciens notables du PAPF et de l’UNSA (Rémy Goussault, le comte de Guébriant, Pierre Caziot, Leroy-Ladurie…), crée, le 2 décembre 1940, la Corporation Paysanne pour contrôler le monde agricole. Elle est contestée sur le terrain par les Résistants et des agriculteurs déçus qui créent un syndicat clandestin en 1943 : la Confédération Générale de l’Agriculture (CGA).
Nommé délégué général à la propagande du Maréchal, Henri Dorgères publie, en 1943, un ouvrage intitulé Révolution paysanne. Il y développe notamment une rhétorique hostile aux fonctionnaires, dont l’instituteur public coupable de « déraciner » les jeunes ruraux. Il défend également la petite propriété agricole familiale qui se transmet de génération en génération. Cette dernière position l’éloigne peu à peu des grands agrariens qui tiennent la Corporation paysanne, mais il demeure un vif soutient du Maréchal et reçoit en mains propres la Francisque.
En août 1944, il est arrêté par les Alliés dans l’Indre. Il est condamné à dix années d’indignité nationale, mais son rôle joué auprès des prisonniers évadés, voire des personnes poursuivies par l’Occupant qui cherchaient à passer la ligne de démarcation, lui sauve la mise.
Après la Libération, la Gauche triomphante conserve le principe d’une organisation unique regroupant toutes les composantes professionnelles de l’agriculture (syndicats paysans et de salariés, coopération, mutualité et crédit), tout en écartant les dirigeants ayant collaboré avec le nazisme. La Corporation est dissoute et remplacée la Confédération Générale de l’Agriculture (CGA). Elle se compose de quatre fédérations, dont celle des exploitants : la future FNSEA.
La FNSEA va rapidement chercher à supplanter la CGA d’abord en la vidant de ses forces socialistes et communistes (Tanguy Prigent, membre de la SFIO qui, avec 79 autres parlementaires, avait refusé les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, est contraint à la démission), puis en réduisant sans cesse ses prérogatives. La CGA devient une coquille vide. Ensuite, des collaborateurs de Vichy, anciens responsables de la Corporation syndicale, obtiennent des places de direction au sein de la FNSEA (Eugène Forget, René Blondelle). En 1950, ils font voter la possibilité pour les propriétaires non-exploitants (majoritairement de droite) d’adhérer au syndicat, entraînant la mise à l’écart des derniers dirigeants de gauche. En quelques années, les anciens de Vichy ont pris leur revanche sur la CGA, la remplaçant de l’intérieur.
Une collaboration étroite entre État et syndicalisme se met alors en place, fondée sur les objectifs de modernisation de l’agriculture visés par les responsables politiques de la Vème république : une agriculture française compétitive en vue de la création du marché commun européen. Cette collaboration aboutit à la mise en place d’un système de cogestion pour la conception et la mise en œuvre de la politique de modernisation. D’un côté, l’État reconnaît en la FNSEA son interlocutrice unique ; de l’autre, le syndicat partage la responsabilité de ces réformes et est chargé d’arbitrer les divergences d’intérêts au sein de la paysannerie (entre petits et gros producteurs, entre régions, entre filières de produits, etc.).
Porté par la loi d’orientation agricole de 1962, un véritable pacte se forge entre l’Etat et la FNSEA qui favorisera la disparition des petites exploitations au profit des moyennes et grandes structures, conduisant à un nouvel exode des campagnes – la population active agricole passant de 25 % à 1,5 % de la population active à l’orée des années 2020.
Dorgeres, lui, reprend ses activités, un peu au ralenti. Il fonde une agence de publicité agricole, avant de devenir le gérant de la Gazette agricole au début des années 1950. Mais, quand il voit poindre le mouvement Poujade, il retrouve ses grands élans d’avant-guerre. Au cours de l’été et l’automne 1955, les troupes poujadistes, accompagnés de certains fidèles de Henri Dorgères, mènent l’action directe antifiscale. En août 1955, la perception de Léoville en Charente-Maritime est pillée et saccagée ; le 21 septembre ce sont de violentes émeutes à Chartres, avec le pillage, quelques jours plus tard, des perceptions à Aigrefeuille et Pont l’Abbé-d ’Arnoult.
Dorgères est élu député d’Ille-Et-Vilaine le 2 janvier 1956 sur les listes poujadistes de l’Union pour le salut de la patrie. Il porte à l’Assemblée nationale des textes ayant attrait à l’agriculture et la fiscalité. Il s’oppose également à l’Europe politique naissante, notamment sur la question agricole. En septembre 1957, il fonde avec Pierre Poujade et Paul Antier un groupe interparlementaire, le rassemblement paysan. Il ne retrouve pas son siège en 1958. Il disparait de la vie politique avec l’avènement de la Cinquième république, ses activités seront alors très réduites. Il décède le 22 janvier 1985 à Yerres dans l’Essonne, dans une indifférence quasi-générale.
Pour conclure, il est incontestable que Dorgères et ses amis ont eu un grand attrait pour les régimes fascistes européens et ont aspiré à un régime autoritaire, corporatiste, protectionniste, nataliste, xénophobe et antisémite, avec comme épine dorsale l’exploitation familiale et le principe de l’autonomie paysanne ; autant d’idéaux qui se retrouveront partiellement réalisés par le régime de Vichy, dont Dorgères sera non seulement un fervent partisan mais également un des indéfectibles exécutants.
Le dorgérisme apparait donc pour ce qu’il est fondamentalement : un mouvement fasciste et corporatiste. Mais, contrairement aux autres chefs fascistes des années 30 en Italie, Allemagne, Espagne et Portugal, Dorgeres resta cantonné à la défense des classes paysannes. Ce qui fait dire à l’historien Robert Owen Paxton que Dorgères aura été le dirigeant paysan français qui a été le plus près d’occuper la niche d’un « fascisme rural français » (Robert O Paxton, Le temps des Chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural, I929-1939, page 259, Paris, Éditions du Seuil, I996).
Il n’empêche que le dorgérisme a été une préfiguration de nombreux mouvements corporatistes en France, comme le poujadisme et les Bonnets rouges. Dorgères et Poujade avaient en commun de prendre appui presque exclusivement sur des couches moyennes traditionnelles, le premier dans les campagnes, le deuxième dans les villes. Leurs tentatives d’élargir leurs bases respectives en direction des couches inférieures n’aboutirent pas car ils étaient très hostiles aux combats menés par les ouvriers salariés. Quant aux Bonnets rouges, c’est au départ un mouvement lancé en mars 2013 par des patrons qui protestaient contre la hausse de la fiscalité pesant sur les entreprises, la paperasserie et l’écotaxe relative aux transports de marchandises par les poids lourds sur le réseau non-payant. Le dorgérisme et le poujadisme se sont organisés autour de syndicats professionnels très centralisés, les Bonnets rouges pouvaient s’appuyer sur une forte organisation politico-syndicale : la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises, des Fédérations Départementales des Syndicats des Exploitants Agricoles, des élus locaux.
Mais ni le dorgérisme, ni le poujadisme, ni les Bonnets rouges qui exprimaient la révolte des classes moyennes propriétaires – petits paysans, artisans, petits commerçants, petits patrons – en voie d’être laminées par les évolutions économiques, n’ont défendu les revendications portant sur le pouvoir d’achat des classes populaires ou leurs aspirations à l’égalité sociale, contrairement au mouvement des gilets jaunes d’octobre et novembre 2018.
Pour en savoir plus sur Dorgères, le dorgérisme et les Chemises vertes :
Robert O Paxton, Le temps des Chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural, I929-1939, Paris, Éditions du Seuil, I996
David Bensoussan, Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 2006
Pascal Ory, Le dorgérisme, institution et discours d’une colère paysanne 1929-1939, Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1975, 22-2 pp. 168-190
Pierre Barral, Les syndicats bretons de cultivateurs-cultivants, dans Pierre Barral [dir.], Aspects régionaux de l’agrarisme français avant 1930.— Le Mouvement social, avril-juin 1969, pp. 147-161.
Jean Pierre Maxence, Histoire de dix ans : 1927-1937, Éditions du Rocher, 2005
Yves Echelard, La longue marche des paysans bretons, un siècle d’histoire, 1880 -1980, Editions HA 2020